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Coup Pour Coup 31

Collectif anti-impérialiste membre de Samidoun Palestinian Prisoner Solidarity Network

Le point de vue d'Abdelaziz Menebhi sur le Sahara Occidental

IMG 1941Le 25 mai 2006, l’UJPA a organisé à Bruxelles une conférence d’Abdelaziz Menebhi, co-fondateur du Mouvement Marxiste-Léniniste Marocain « Ila Alamam » (« En avant ! »), ancien président de l’Union Nationale des Etudiants du Maroc, ancien prisonnier et exilé politique, frère de la martyre Saida Menebhi. Voici le texte de cette conférence qui aborde un sujet crucial pour la lutte contre le chauvinisme dans la communauté marocaine : le droit à l’autodétermination du peuple saharaoui.

Je remercie vivement les camarades de l’Union des Jeunes Progressistes Arabes (UJPA) de Belgique de nous avoir réuni dans cet Espace Marx qui évoque l’une des périodes les plus rayonnantes de l’histoire de l’humanité dans son combat contre l’exploitation et pour le socialisme. Les peuples sahraoui et marocain continuent ce combat contre l’oppression et la répression. Je remercie vivement les camarades de l’Union des Jeunes Progressistes de la monarchie marocaine pour l’indépendance, la démocratie et le socialisme.

Je tiens à préciser d’emblée qu’il ne sera pas question de mon propos de revenir en détail sur l’histoire des deux peuples, leurs origines et formation, encore moins de revenir sur l’histoire des deux mouvements, marxiste marocain et front Polisario, ni sur les enjeux et perspectives de la guerre injuste et fratricide que livre la monarchie alaouite au peuple sahraoui, et l’oppression et l’exploitation de classe qu’elle exerce sur le peuple marocain.

Je me limiterai au rappel bref de faits, de dates et d’événements historiques importants qui ont entouré et marqué la naissance simultanée de ces deux mouvements de luttes révolutionnaires, nationales et démocratiques, fin des années ‘60 début des années ‘70, dans cette région de l’Afrique du nord ou de l’occident arabo-berbère …contre l’occupation coloniale et néo-coloniale, l’oppression et l’exploitation de classe et la domination impérialiste.

Permettez-moi de commencer par un rappel du contexte géopolitique de cette période :

-début de la défaite de l’impérialisme Américaine au Vietnam ;

-victoires des mouvements de libération nationale en Afrique (Angola, Mozambique ,etc.) qui ont sonné le glas des empires coloniaux (Espagne, Portugal) ;

-déclenchement de la lutte armée en Palestine contre l’occupation sioniste ;

-essors des mouvements de libération et de lutte armée en Amérique du Sud (Bolivie, Uraguay, Paraguay, etc.) et la consolidation de la révolution cubaine ;

-victoire de la Longue marche en Chine et son impact idéologique sur la jeunesse dans le monde ;

-montée des mouvements sociaux ouvrier et étudiant et l’apparition des actions armées en Europe occidentale (Mai 68 en France, Fraction Armée Rouge en Allemagne, Brigades Rouges en Italie) .

En Espagne, l’isolement du régime franquiste, avec la montée des luttes sociales des jeunes et des mouvements ouvrier et basque, et la pression internationale pour la décolonisation du Sahara occidental, va accélérer l’approfondissement de la crise de ce régime fasciste et sa décomposition finale.

Le Maroc venait juste de sortir de l’état d’exception imposé au peuple marocain par Hassan II après le massacre de l’insurrection populaire de mars 65 et la liquidation de Mehdi Ben Barka ; le pays connaît une crise grave et la monarchie était isolée et minée de l’intérieure (deux coups d’état successifs, 1971-72).

Un événement va sceller la relation de deux  noyaux de militants révolutionnaires et aura un impact déterminant sur l’avenir et l’évolution de la lutte des deux peuples sahraoui et marocain.

Le 3 mai 1970 annonce surprise à la radio marocaine de la visite de L .Bravo (ministre des affaires étrangères Espagnole) pour négocier un projet d accord entre Hassan II et Franco pour l’exploitation  du phosphate de Boukraa, au Sahara.

Le 4 mai, grève générale à l’université Mohamed V de Rabat pour dénoncer cette visite. L’élément moteur à l’origine de cette grève n’est autre que le noyau de militants révolutionnaires qui allait quelques semaines après (le 30 Août) constituer l’organisation Mouvement Marxiste-Léniniste Marocain « Ila Alamam ».

Cette grève, et les manifestations qui l’ont accompagné, vont provoquer une vague d’arrestations, de tortures, de procès, d’enrôlement forcé dans l’armée pour « punir » ces militants.

La riposte du mouvement étudiant marocain à cette répression va être à la hauteur : une grève générale et illimitée est déclenchée dans toutes les facultés (Rabat ; Fès, Casa, Tétouan, Marrakech…) et sera suivie par plusieurs lycées dans plusieurs villes. Pendant cette grève qui va durer deux mois , la Faculté des lettres et de sciences humaines (Rabat) sera transformée en université parallèle où des centaines d’étudiants vont participer à larges mouvement de débats d’idées qui vont remettre en cause et contester les fondements historiques même du nationalisme bourgeois marocain et la conception makhzenienne de l’histoire et élaborer une toute autre conception, une toute autre histoire redonnant leur vérité aux luttes séculaires des masses  populaire marocaines et  sahraouis contre le pouvoir central oppresseur.

La présence et la participation active des militants  Sahraouis (Elwali Mustapha Es-Said, Mohamed Sidati ; Mohamed Ouled Salek, Mohamed Lamine etc. noyau à l’origine de la création du front Polisario et de la République Arabe Sahraouie Démocratique), en particulier dans le débats qu’ils sont animé sur l’histoire du peuple sahraoui, sa culture, son mode de vie spécifique vont donner une dimension riche et profonde à ce débat unique et tout à fait  exceptionnel.

Un article non moins historique, riche et exceptionnel va être publier quelques jours après dans le numéro 19 de la revue Souffle, intitulé Nouvelle Palestine au Sahara Occidental.

Je vous résume les idées fondamentales qui ont jailli de ce débat :

-1. La notion de « peuple » n’est ni statique ni mythique, elle doit être située dans sa dynamique, à partir des réalités historiques, réalités intégrant les composantes économiques, sociales et culturelles. Le fondement d’une telle dynamique est le processus socio-spatial de longue durée, au cours duquel se forge, s’élargit et s’approfondit la symbiose intégrant le maillage urbain et les activités économiques et culturelles qui lui ont donné naissance et qui s’en nourrissent.

Dans le cas de la population sahraouie, le fondement de cette dynamique est le processus de construction de son identité en tant que peuple, processus qui s’est concrétisé dans la longue lutte de ces tribus contre toutes les formes de soumissions aux pouvoirs centraux oppresseurs (la dynastie alaouite en particulier), et contre le colonialisme espagnol et la domination économique et militaire impérialiste depuis 1884.

L’un des facteurs historiques fondamentaux qui a entravé le développement du mouvement de libération  sahraoui contre le colonialisme et l’impérialisme, tout au long du siècle passé, est précisément l’intervention continuelle de la monarchie marocaine qui a toujours collaboré avec ces derniers pour encercler et disperser les initiatives libératrices des Sahraouis et leur imposer sa tutelle (celle de Maa Al Inine au début du siècle, du mouvement de libération début des années 50, ou du mouvement de Mohamed Bassiri en 1960, par exemple).

Le peuple marocain,quant à lui, a connu une toute autre dynamique, séculaire et spécifique, dans sa lutte contre les oligarchies tribales alliées à la bourgeoisie mercantile et érigés en  états impériaux centralisés et dominateurs. Dès que la voie de contrôle des accès au nord du Sahara du commerce caravanier qui transportait principalement de l’or du Ghana vers les marchés transméditerranéens fut dépassée par la navigation européenne à longue distance, ils vont se transformer en structure parasitaire du Makhzen, se maintenant par le pillage de la production céréalière des tributs soumises pour l’exporter vers les marchés du capitalisme européen ascendant, en échange des armes et des moyens de paiement nécessaire à sa domination et à l’entretien de sa structure parasitaire, en collaboration étroite avec le capitalisme et l’impérialisme. Tel fut le rôle, le fondement et l’histoire de la dynastie alaouites qui a soumis et dominé les masses populaires, marocaines et sahraouies, par la force des armes et dans le sang et le pillage ; My Ismaël (sultan au 18e siècle) et Hassan II (1961-1999) sont deux grands monarques de cette dynastie sanguinaire et oppressive.

Les révoltes des tribus marocaines au début du dernier siècle, du mouvement de Maa Al Inine en 1905, de la révolution de Mohamed Abdelkarim Khatabi dans le Rif en 1921 et le Mouvement et l’Armée de libération au début des années de 50, sont autant d’exemples qui ont illustré le combat de nos deux peuples contre la monarchie et la collusion de celle-ci avec le colonialisme français et espagnol.

-2. Les deux peuples, leurs mouvements de libération et leurs forces révolutionnaire savaient toujours conscience que la monarchie alliée du colonialisme et de l’impérialisme représente le plus grand obstacle à leurs libération et à leur développement économique, social et culturel et à toute forme de démocratie, d’émancipation et de liberté ainsi qu’un facteur de haine chauvine entre les peuples, l’élément majeur qui entrave l’unité, la fraternité et la paix entre les peuples de cette région du monde.

-3. Que la contradiction entre ses deux forces antagonistes ne peut trouver sa solution à travers une coexistence pacifique, ni avec des choix réformistes ; cette solution passe nécessairement par la violence révolutionnaire des masses populaires, par la lutte armée des peuples.

-4. Pour mener à terme cette tâche, les révolutionnaires et les démocrates des deux peuples doivent se doter de leurs organisations spécifiques ,autonomes et indépendantes de l’idéologie nationaliste bourgeoise et de la vision bourgeoise et makhzenienne de l’histoire et opter pour une stratégie de libération nationale, démocratique et populaire qui met fin à la domination impérialiste et réactionnaire, ennemie des deux peuples et qui ouvre la voie de la liberté, de la solidarité ,de la fraternité et de la paix entre eux dans une perspective d’unité, pour la construction d’une société d’hommes et de femmes affranchis de toutes formes de domination et d’exploitation de l’homme par l’homme.

Il nous est apparus dans l’intérêt des deux peuples de reconnaître l’existence du peuple sahraoui et de son droit inaliénable à l’autodétermination, et déclarer notre soutien inconditionnel à sa lutte contre le colonialisme et la réaction, ce même colonialisme qui a envahi militairement notre pays, massacré notre peuple, brisé notre culture et pillé nos richesses, avec la collaboration active et avérée de ce même colonialisme continue de coloniser une partie de notre pays (Ceuta et Mellila) au vu et au su de la monarchie marocaines et des instances internationales.

Le premier acte politique exprimant officiellement cette analyse et position était la motion de reconnaissance du peuple sahraoui et de son droit à l autodétermination votée au 15e congrès de l’Union Nationale des Etudiants du Maroc. (15-18 août 1972). Les militants sahraouis ont continué leur lutte contre l’occupation coloniale du Sahara Occidental avec l’organisation de plusieurs manifestations à Tan Laayoune et Samara. Ces manifestations se sont soldées par des interventions violentes de l’armée espagnole et des forces de répressions marocaines et l’arrestation de plusieurs militants sahraouis parmi lesquels le martyr Mustafa Elouali, Mohamed Sidati, Mohamed Ouled Salek, etc.

Au même moment, les militants révolutionnaires marxistes affrontaient la répression, la dissolution de l’UNEM et l’arrestation d’une centaine de ses responsables et militants, la mort sous la torture, les disparitions de la part du même système policier.

Ce processus d’atteintes graves aux libertés démocratiques va prendre une forme et un degré digne d’un régime fasciste et dictatorial. Le règne de la terreur et de la barbarie va dominer dans tout le Maroc, éclaboussant par son ampleur les rives nord de la méditerranée ou résident quelques dizaines de milliers d’immigrés et d’exilés marocains.

Une aventure coloniale meurtrière, une guerre injuste et fratricide va être déclarée au peuple sahraoui dans le terroir du Sahara Occidental. Tandis qu’au Maroc, une autre guerre, dont la nature et différente mais pas moins meurtrière et injuste, sera livrée au peuple marocain.

Soutenu par les anciens colonisateurs et les multinationales, par la bourgeoisie locale décadente et les appareils dirigeants des partis sois disant de gauche, Hassan II va engager la région dans ce tunnel noir qui dure maintenant depuis presque quarante ans. Tout au long de cette période, le Maroc a connu trois insurrections populaires (1981, 1984, 1990) réprimées dans le sang, et des milliers de morts, assassinés, morts sous la torture et disparus dans des lieux de détentions secrets (Tazmamart-Kallat Maguouna-Agdes-Derb My Cherif…) des dizaines de procès fallacieux ou les juges (la police du roi) ont distribué des siècles de prison, provocant des souffrances, des frustrations et de l’humiliation dans notre peuple.

Plus de trente ans de mensonges, de falsification de l’histoire et de la volonté du peuple, d’institutions fantoches, de mépris et de non respect des principes des droits de l’homme, des décisions des institutions internationales et régionales (ONU, OUA, N.A.) et de déformation de leur avis.

Plus de trente ans de propagande de haine chauvine entre les peuples de la région et contre tous les peuples et les gouvernements qui n’ont pas plié à l’instinct fasciste et mythomane de Hassan II.

Plus de trente ans de guerre et d’étouffements des libertés démocratiques et des droits sociaux, économiques et culturelles, pendant lesquelles la mafia du Makhzen et les généraux ont pillé la richesse de notre pays, racketté notre peuple en l’appauvrissant et piétinant la dignité et la fierté de ses hommes et de ses femmes ; où la police clandestine a semé la terreur ,l’arbitraire et la loi de la jungle ; où le Maroc est devenu un paradis du tourisme sexuel, de la drogue et de toutes sortes de trafics ; un pays de chômeurs simples et diplômés ,d’analphabètes ,de marginaux et de laissés pour compte.

Cette destruction violente des bases même de notre société, de point de vue matériel, économique social, culturel et intellectuel …était applaudie, soutenue et glorifié par les partis politiques qui sont dit pompeusement d’oppositions et progressistes (l’Union Socialiste des Forces Populaire de Bouabid A ,le Parti Communiste de Yaata .A . le parti d’Istiqlal d’Elfassi Allal etc.). Leurs leaders se sont envolés à l’appel de Hassan II pour sillonner tout les pays du monde et défendre l’aventure meurtrière Hassanienne, en la présentant sous l’habillage de l’« union sacrée », de l’« unanimité nationale », de la « paix sociale », du « processus démocratique », et en présentant Hassan II comme un « génie ,libérateur,unificateur et bâtisseur ». Ils ont tous qualifié le Front Polisario de mercenaires d’Alger et les marxistes marocains d’agents de l’impérialisme et du sionisme (sic).

Au même moment, la salle guerre au Sahara fait rage avec du napalm (arme utilisée par l’armé Américaine au Vietnam et par l’armé sioniste en Palestine), des bombardiers F-5, l’empoisonnement de puits, la dispersion et la destruction du bétail, la déportation et la séparation de la population, le partage du territoire de manœuvre politiques et diplomatiques…

Le peuple sahraoui ,dirigé par le front Polisario et organisé au sein de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) va faire preuve d’une résistance héroïque à cette invasion coloniale et barbare de l’armada militaire marocaine soutenue par l’impérialisme international (France, Espagne, USA).

L organisation « Ila Alamam » (« En avant ! ») apportera son soutien aussi héroïque à la lutte du peuple sahraoui et à son droit à l’ autodétermination, malgré la terreur et la campagne chauvine des partis politiques marocains.

La monarchie marocaine a échoué dans son aventure guerrière au Sahara Occidental et dans sa politique de terreur et de répression au Maroc, grâce à la résistance et les sacrifices des deux peuples et de leurs organisations révolutionnaires.

Aujourd’hui l’occupation militaire et la colonisation du Sahara Occidental continuent et la répression sauvage et les atteintes graves aux droits de l’homme n’ont diminué ni au Maroc ni au Sahara (arrestations, morts sous la tortures, procès, violations des libertés et des droits, etc).

La nouvelle carte d’autonomie des territoires, soutenue aveuglement par quelques anciens détenus politiques devenus des nouveaux défenseurs et mercenaires du trône, n’est qu’une manœuvre pour gagner du temps en semant la confusion, dans le seul but est de faire avorter la lutte de libération qui se développe dans cette région en désarmant le peuple sahraoui et renforçant la domination de la réaction et de l’impérialisme dans cette partie du monde.

Le peuple sahraoui doit reprendre sa  lutte armée, le peuple marocain, en particulier les ouvriers ,les paysans pauvres et les militants intellectuels révolutionnaires doivent se préparer pour le même choix pour même voie : c’est notre seul salut.

Abdelaziz Menebhi, Bruxelles 25 juin 2006

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